« Le choix de l’emmental grand cru est exigeant mais payant ! »
Le Gaec de Favery est satisfait d’avoir fait le pari du lait à l’herbe et au foin pour cette IGP, il y a près de cinq ans. Les associés ont optimisé l’existant et adapté leurs pratiques. Avec notamment une grande rigueur sur la qualité du lait et des charges très maîtrisées, la rentabilité est au rendez-vous.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Situé dans le nord du Doubs, le Gaec de Favery se trouve hors de l’aire géographique de l’AOP comté, mais à seulement cinq kilomètres. Cette proximité de lieu va de pair avec une certaine proximité de stratégie, marquée par une recherche de valeur ajoutée à travers la qualité. Il y a cinq ans, cette exploitation en lait standard, utilisatrice de maïs ensilage, est passée en système herbe et foin pour entrer dans un signe de qualité : l’IGP emmental grand cru. Son aire géographique comprend treize départements de l’Est central, dont le Doubs.
La réflexion s’est amorcée après la crise laitière de 2009. Cette période difficile a coïncidé avec l’année d’installation de Christian Baverey dans le Gaec. En remplacement de sa mère, il s’est associé à sa sœur, Jacqueline Garrignot, et à son mari, Denis. L’exploitation comptait alors 160 ha et 397 000 litres de référence.
Son droit à produire a augmenté par l’octroi de 30 000 litres de lait supplémentaires au jeune agriculteur, suivi d’autres attributions et de la reprise de 10 ha, remis en herbe. Cela a conduit les éleveurs à saturer leurs moyens de production. « Avec 60 laitières dans l’aire paillée existante, le système d’alimentation hivernal (ensilage de maïs aux cornadis, enrubanné dans une cage en libre-service) n’offrait plus assez de places à toutes les vaches. Nous avons testé une mélangeuse pendant l’hiver 2011-2012, solution coûteuse en carburant qui ne nous a pas convenu car nous cherchons, surtout depuis 2009, à minimiser toutes nos charges. Même chose pour les silos taupes : ils devenaient nécessaires pour stocker 12 ha de maïs ensilage, mais ce n’était pas l’idéal, ni pour l’organisation ni pour la qualité du lait qui a toujours été notre priorité. Et le prix du lait demeurait trop juste pour espérer nous rémunérer durablement à trois… », se souviennent les trois associés.
En parallèle, l’exploitation vendait chaque année un surplus de 200 bottes rondes de foin. Elle disposait aussi d’un silo à maïs couvert, bâtiment apte à être converti, sans investissement, au stockage de quelque 400 bottes de fourrage.
« Passer en lait label fut une bonne décision »
Dans ces conditions, les associés ont regardé du côté de la filière emmental grand cru. Son cahier des charges repose sur une alimentation à base d’herbe et de foin, avec pâturage obligatoire au moins cinq mois, et exclut tout produit fermenté. « L’UAC, notre coopérative (groupe Ermitage), collectait quelques exploitations aux alentours pour cette IGP. Elle ne cherchait pas de producteurs supplémentaires. Toutefois, nous avons demandé, deux à trois ans de suite, à entrer dans ce créneau du lait label, destiné à la fabrication d’emmental grand cru ou de raclette au lait cru. Finalement, nous avons pu signer notre contrat en juillet 2013, après une étude économique prévisionnelle l’hiver précédent, et surtout plusieurs mois de transition pour satisfaire au cahier des charges. Sur le plan des exigences sanitaires de qualité du lait, avec l’apparition de nouveaux critères, ce fut vraiment le grand saut ! (voir infographie). Vu les changements fourragers et les obligations de qualité, des producteurs en système tout foin pour le lait cru nous avaient carrément déconseillé d’y aller ! En réalité, cela s’est avéré une très bonne décision ! » pointe, chiffres à l’appui, Jacqueline, qui est responsable de l’administratif.
« Nous intervenons aussitôt en cas de problème sur un critère »
« Grâce à une structure d’exploitation adaptée à ce nouveau système, avec beaucoup de surfaces en prairie, le Gaec a réussi son passage en lait label, confirme Claire Ricci, conseillère à Conseil Élevage 25-90. Les éleveurs n’ayant pas beaucoup de changements à faire sur le travail cultural, ils ont pu se consacrer davantage aux améliorations à réaliser autour du troupeau laitier : passage de la traite en 2 x 6, logettes et Dac, séchage de fourrage… » Grâce à leurs aménagements et à une très grande rigueur sur la qualité du lait, ils vendent leur production au minimum à 400 €/1 000 litres depuis 2014 (428 € sur l’année comptable 2016-2017, et même 432,8 € sur l’année civile 2017).
Outre l’installation de 66 logettes dans l’ancienne aire paillée pour améliorer la propreté des vaches et loger correctement davantage d’animaux, le protocole de nettoyage à la traite a été revu et renforcé. « Pour bien gagner sa vie en lait cru, il faut être super rigoureux sur la qualité. Et la maintenir sur la durée. C’est pourquoi, en cas de problème sur un critère, nous cherchons immédiatement la cause par des analyses, et faisons tout pour le résoudre le plus vite possible », soulignent Jacqueline et Denis, qui assurent la traite. « Toute laitière avec des cellules est réformée, nous n’hésitons pas. Nous sommes à 35-40 % de renouvellement », complète Denis, qui gère la reproduction, les soins vétérinaires et l’alimentation. Enfin, l’absence de fourrages fermentés contribue à mieux maîtriser les butyriques. Le passage au tout herbe et foin a réclamé d’implanter 25 ha de prairies temporaires, composées d’un mélange suisse, qui entrent désormais dans la rotation. Les éleveurs ont dû aussi se donner les moyens de mieux garantir la réussite de la fenaison.
« Aucun gaspillage de ration ! »
« C’est LA période délicate. Après avoir cherché différentes solutions de séchage, nous avons construit nous-mêmes, l’hiver 2014-2015, un séchoir solaire pour 72 balles rondes, sous un hangar existant destiné au stockage hivernal du matériel. Les quatre coupes sur prairies temporaires et tous les regains, soit 800 à 900 bottes par an, y passent avec des résultats très satisfaisants », indique Christian Baverey qui s’occupe, entre autres, des cultures. Grâce à une qualité de fourrages améliorée, « j’ai pu baisser le complément azoté de 2 kg à 1 kg par vache laitière dans la ration moyenne, à 26 kg, cet hiver », constate Denis. Cette ration quotidienne intègre aussi 4,5 kg de maïs et orge concassés, 200 g de minéral, 11 kg de regain et 6 kg de foin.
À l’échelle de l’année, la marge sur coût alimentaire a atteint 329 €/1 000 litres en 2016-2017 (avec 1,78 tonne/vache de concentré et minéral distribués), après deux ans à 297 €. Alors qu’elle se situait à 250 €/1 000 l en 2010-2011 et 258 € en 2011-2012. « La quantité de concentré, qui varie suivant les années et la qualité des fourrages (c’est pourquoi les éleveurs ont installé le séchage), ne diminue pas forcément. Mais il y a beaucoup plus de céréales produites sur l’exploitation qu’auparavant et beaucoup moins de tourteaux achetés distribués. De plus, le fait d’être passé au Dac permet un ajustement individuel de la ration et évite ainsi le gaspillage », souligne Claire Ricci.
En outre, grâce à une bonne valorisation du pâturage, la marge alimentaire est maximale les six mois et demi durant lesquels les vaches sont à l’herbe, à partir de début avril. Elles ont accès à 25 ha au total autour du bâtiment.
« Nous espérons accéder un jour à l’AOP morbier »
« Le pâturage de jour est tournant, en partie rationné au fil, détaille Denis. La nuit, les vaches reviennent sur une parcelle fixe qui donne sur le bâtiment et peuvent ainsi accéder au Dac. Nous distribuons un repas d’affouragement d’herbe en vert, afin de ne pas avoir à faire pâturer dans des parcelles éloignées. Et du 15 août au 15 octobre, nous affourageons avec du maïs récolté en vert sur 2 ha chaque année. »
Leur système est aujourd’hui bien calé. Ils se libèrent complètement un dimanche sur deux d’avril à octobre et prennent une semaine de vacances par an. Vu les bons résultats économiques, les associés veulent poursuivre sur ce rythme, sans varier de taille. Ils entrevoient, et souhaiteraient, une seule évolution : « Accéder un jour à l’AOP morbier, car nous sommes dans l’aire géographique et n’aurions presque pas d’ajustements à faire. »
Catherine RegnardPour accéder à l'ensembles nos offres :